| Monsieur Georges MOREL Evocation sensible de mon père, Georges, Papa.
Papa, t'aurais pu prévenir avant de partir. Mais cela te correspond bien, tu n'étais pas un bavard, discret, plutôt taiseux. Comme disent les jeunes, trois phrases de suite et tu étais au bout de ta vie. C'était difficile de sonder ton âme, tu te livrais peu. Et pourtant je sais que tu nous aimais, nous tes fils, ton épouse, tes belles-filles, petit fils et petite fille. Sans nous le dire, tu ne nous as jamais fait défaut. Nous pouvions compter sur toi.
Tu as tracé ta vie calmement, les circonvolutions, les arabesques, les sinuosités improbables ce n'était pas ton style. Comme un laboureur consciencieux, l'esprit tourné vers l'extrémité du champ de la vie, tu as creusé un sillon rectiligne, propre, honnête, solide aussi bien sur les plans personnel, familial, professionnel que social. A l'adolescence, lorsque je te regardais dérouler ce chemin de vie, je trouvais ça monotone, sans imagination, presque ennuyeux. Aujourd'hui avec toi à l'extrémité de ce champ, je me retourne et je me dis qu'une ligne droite c'est beau aussi, et que vous en conviendrez, ce n'est pas si facile à tracer.
Tu étais un amoureux des grands espaces vierges ou peu fréquentés. Les histoires d'aventures, de pionniers, de découvreurs aux quatre coins du monde te fascinaient. Tu aimais la randonnée, la marche en montagne notamment. Tu as fait quelques 4 000 dans les Alpes, j'ai gravi quelques années après toi le Grand Paradis dans le massif du Mont Rose. Tu m'avais donné ton piolet, je lui suis resté fidèle, il n'était pas pensable pour moi de partir avec un autre piolet que celui-ci. Il m'a accompagné sur toutes mes ascensions. A travers lui tu veillais sur moi et tu m'accompagnais dans ces périples hivernaux.
Voila Papa, je souhaite te faire un ultime cadeau. Nous irons ensemble sur le point culminant du massif des Bauges manger un reblochon, ton fromage préféré. Nous mangerons la croute bien-sur, le reblochon sera coulant, le pain craquant et nous l'accompagnerons d'un petit Gamay des coteaux de Savoie, fruité, gouleyant, frais comme une bise de printemps sur les alpages, beau comme un lever de soleil sur la Tournette et le lac d'Annecy. Tu ne boiras qu'un seul verre, tu étais un homme sobre, moi deux ou trois, peut-être quatre et quand le soleil commencera à décliner, je t'installerai appuyé sur un rocher, ou posé au creux d'une souche, pour que tu puisses regarder le soleil lentement se coucher derrière les crêtes. Pendant ce temps je descendrai dans la vallée, tu auras l'éternité pour profiter tranquille de ces belles montagnes de Savoie que tu aimais tant.
Je t'embrasse Papa, surtout ne me remercies pas cette fois, c'est normal qu'un fils embrasse son père.
Philippe
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